Démocratie athénienne et valeurs centristes : ou comment dépasser les clivages pour préserver l’intérêt général

Mouvement Démocrate
6 min readJul 27, 2021

Aussi loin que l’on puisse regarder, les prémices des valeurs du centrisme moderne se retrouvent dans l’Histoire de la Grèce Antique. Faire société, vie et survie de la démocratie, pardon et dépassement des clivages… Toutes ces valeurs sont intemporelles et se retrouvent dans certains épisodes clés de notre Histoire, de l’Antiquité jusqu’à aujourd’hui.

Projetons-nous notamment au Vème siècle avant notre ère, en pleine guerre entre Athènes et Sparte, marquée par la défaite du berceau de la démocratie et l’évolution de son régime politique. Cet article est le premier d’une série qui paraîtront tout au cours de l’été

Stèle de la Démocratie, Musée de l’Agora antique d’Athènes

Préambule

Dans un souci évident de contextualisation et de précision historique, il convient de rappeler que la démocratie telle qu’elle était en vigueur à Athènes n’avait pas la même signification, les mêmes visées et les mêmes valeurs que la démocratie telle que nous l’entendons de nos jours. Cependant, certains actes historiques et le faisceau de valeurs qui s’en dégagent méritent d’être étudiés et mis en avant à des fins d’analyse historiques et politiques.

Une époque tourmentée dans la Grèce antique

La Grèce antique est une époque qui a inspiré et continue de fasciner le monde entier. Tant au niveau des grandes figures qui ont pu inscrire leurs noms dans l’imaginaire collectif que des expériences politiques tentées, toute la genèse de notre monde actuel s’y retrouve. Tous les grands concepts et courants de pensée y puisent leurs racines. A ce titre, les valeurs du Centre se retrouvent également dans cette époque unique de l’Histoire.

Plus particulièrement, le Vème siècle avant notre ère est un siècle troublé en Grèce antique : la Guerre du Péloponnèse y fait rage. Devenues mythiques, les cités de Sparte et d’Athènes s’affrontent pendant près de 27 longues années. L’origine de ce conflit se trouve dans la crainte d’un impérialisme sans fin de la Ligue de Délos, menée par Athènes, sur la Ligue du Péloponnèse, menée par Sparte. Tout au long du Vème siècle, Athènes gagne en puissance et en rayonnement, attisant la méfiance des Spartiates.

Nous sommes face à ce que l’on appelle le « piège de Thucydide » : au sens contemporain, cela signifie qu’une puissance dominante va entrer en guerre avec une puissance émergente de peur que la première ne s’impose trop. Ici, Sparte est la puissance dominante et voit d’un mauvais œil l’arrivée en force de la puissance émergente, Athènes. D’autres raisons vont entraîner les deux cités dans ce conflit mais la peur de l’une envers l’autre a joué un rôle prépondérant.

La chute de la démocratie athénienne

Les années -404 et -403 sont cruciales dans l’Histoire grecque. Athènes finit par perdre la guerre et cette défaite cuisante sonne la fin d’un monde. Sparte impose ses conditions drastiques : la fin des institutions démocratiques, qui ont justement fait la réputation et l’originalité du système politique athénien dont Dracon, Solon et Clisthène sont les pères fondateurs. Leurs réformes avaient ainsi permis à la cité de s’organiser et de se doter de ce système unique pour l’époque.

Les Spartiates contraignent les vaincus à un nouveau modèle politique : les Trente, du nom des 30 tyrans, des oligarques — un groupe restreint qui domine la société — choisis parmi les magistrats de la Cité pour imposer leur loi à Athènes et procéder à toutes les violations de rigueur lorsque le pouvoir ne connaît aucune contrainte : exécutions, jugements arbitraires, bannissements. Les oligarques règnent en maîtres absolus sur la cité et ses habitants.

La figure la plus célèbre de ce système oligarchique est celle de Critias, qui préfigure les dictateurs qui vont émailler l’Histoire du monde. En face, les démocrates, au sens athénien du terme, menés par Thrasybule, Stratège et homme d’État athénien, vont constituer une armée et reconquérir Athènes, avant de chasser les Trente Tyrans et rétablir la démocratie.

Ce qui nous intéresse principalement ici est la suite donnée à cette victoire des démocrates : une fois vainqueurs, ils décident purement et simplement de prononcer une amnistie générale et de ne pas garder rancune. Ils font le choix volontaire d’oublier, d’effacer ce qu’il vient de se passer et d’aller au-dessus de leurs haines passées pour regarder vers l’avenir et refaire de la démocratie le système politique en vigueur. La paix entre « ceux de la ville » (les oligarques) et « ceux du Pirée » (les démocrates) est effective.

Thrasybule prend des mesures visant à permettre à chacun de terminer cet épisode avec décence : les décrets qui gênaient les oligarques déchus sont abrogés et les dettes de ceux-ci envers Sparte sont payées. Rappeler les fautes passées est également puni, afin de tirer un trait définitif sur le passé.

Pour finir, nous pouvons citer cette phrase d’Aristote dans sa Constitution des Athéniens :

« Nul n’aura le droit de reprocher le passé, aux Trente, aux Dix, aux Onze et aux anciens gouverneurs du Pirée, ni même à ceux-ci après leur reddition de comptes »

Les valeurs communes au centrisme

Le centrisme a des valeurs intemporelles et immuables : le juste équilibre, réunir les individus et les unir, dépasser les clivages, l’attachement à la démocratie, faire corps, la liberté, le juste équilibre.

Après une période de guerre interminable et une violence sans fin des belligérants, les vainqueurs démocrates auraient pu se venger, châtier les oligarques pendant longtemps et poursuivre ce cercle vicieux, sans fin et sans résultat concret hormis une haine transmise de génération en génération. Il n’en n’a rien été : dans un certain sens, on peut dire que c’est la modération des vainqueurs qui a permis à la société de continuer à faire corps. Thrasybule a incarné une forme de centrisme avant la lettre : nécessité a fait loi et l’oubli a été absolument indispensable pour avancer ensemble vers un destin commun.

Réunir des individus que tout a opposé : les oligarques, menés par Critias, qui ont fait régner la terreur pendant leur court temps au pouvoir, sont réintégrés au sein des institutions démocratiques qui renaissent. Les clivages sont dépassés au nom du bien commun et de l’impérieuse nécessité de préserver la Cité. Chacun retrouve sa liberté et les dernières traces de cette crise historique se taisent.

Le Centre rend possible des compromis entre des individus aux positions qui semblent irréductibles de prime abord. C’est la recherche perpétuelle d’un équilibre qui tient à distance les extrêmes. C’est une vertu nécessaire à toute société qui souhaite s’organiser de façon rationnelle et ne pas sombrer dans la division. Le centrisme permet à deux parties antagonistes d’une société de vivre ensemble dans un cadre démocratique. Non, être centriste n’est pas être “au milieu de nulle part” ou dans le “flou”. Bien au contraire. Lorsque la pensée est construire et concise, être centriste va de soi : clarté, modération et équilibre.

Ou comment rechercher de façon constante à concilier intérêt général, humanisme intégral et exigence démocratique.

On peut effectuer un parallèle avec une période plus récente de notre histoire : à la Libération, après la défaite de l’Allemagne nazie, le mouvement chrétien-démocrate verra dans cette période un temps de nécessaire reconstruction et de plaidoyer pour la réconciliation franco-allemande. Un appel à l’oubli, à l’humanisme, au pardon. Ce fut la première pierre pour la fondation de l’Europe : deux ennemis qui se sont livrés une guerre impitoyable décident de regarder ensemble et de se construire un avenir commun.

Construire l’Europe après la Seconde Guerre mondiale a été tout aussi inédit que refaire d’Athènes une cité qui fait corps. Les chrétiens-démocrates, animés de leurs valeurs humanistes, ont compris que les haines du passé ne feraient germer que plus de divisions. Thrasybule et les démocrates s’inscrivent, rétrospectivement, dans cet idéal.

Le Centre n’existait pas en tant qu’idée politique au temps de la Grèce antique. La démocratie n’y avait pas le même sens. Cependant, les valeurs de cette époque ont pu inspirer — et inspirent encore — les valeurs centristes actuelles. En cela, nous replonger dans certains épisodes de cette période peut nous montrer l’intemporalité de la philosophie centriste.

À NOTER : Les opinions exprimées n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement la position du Mouvement Démocrate

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